"Tech4Good"? Facile à dire, penseront certains. La relation entre environnement & Tech/digital est pour le moins complexe; et ce n’est pas nouveau, le Club de Rome dans les années 70 affirmait déjà que les technologies allaient épuiser les ressources naturelles. On le sait maintenant, parler de "pollution numérique" est un doux euphémisme: Internet est responsable de 2% des émissions de CO2 dans le monde, autant que l'ensemble du secteur aérien (cf. la Global e-Sustainability Initiative). Quant au voeu pieu de "sobriété numérique" - pour ramener la croissance de la consommation d’énergie liée au numérique de 9% à 1,5% par an, d'après The Shift Project - il n'est pas encore complètement à l’ordre du jour non plus.
Bref, vu sous cet angle, le digital n’est qu’un serial killer.
Et pourtant, la Tech devient solution et prend tout son - vrai et bon - sens lorsqu’elle se fait Green.
Déjà fin 2017, les citoyens européens y croyaient. Un Eurobaromètre de la Commission Européenne (Attitudes of the European citizens toward the Environment) indiquait alors qu'ils faisaient confiance à l’innovation technologique avant tout, face à l'enjeu environnemental.
Et cette année, la planète "Tout-Tech" ne s’y trompe plus.
Le CES a (discrètement) ouvert le bal. À Vegas, on n’a jamais vraiment brillé par l’engagement social ou environnemental. Cette édition pourtant semble avoir porté plus d’entrepreneur.e.s GreenTech que de coutume, des startups françaises s’y sont d’ailleurs distinguées.
Dans la foulée, Paris a accueilli l’édition 2020 de ChangeNow. Trois jours pour connecter tous les acteurs de l’innovation au service de la planète en mode Exposition Universelle au Grand Palais. 20 000 personnes, 1000 solutions pour changer le monde, 100 pays et 250 speakers... une nouvelle grand-messe serait-elle en train d’émerger?
Enfin, VivaTech inaugurera un GreenTech Challenge dans son édition annuelle en juin prochain. D’autres appels aux startups Tech4Good y seront également lancés par Total ("Sustainable Energy Transition") - en quête de solutions pour limiter son impact au sens large, réduire le CO2 des méthaniers, accélérer le déploiement des bio-gaz etc. - ou Vinci Énergies.
Cela méritait bien un petit détour par cette GreenTech-là.
Pour les néophytes d'abord.
Qu'elle se nomme GreenTech, EcoTech ou CleanTech, peu importe l’appellation d’origine incontrôlée (!), le champ d’action est large. Il va de l’amélioration ou de l'optimisation de l’existant à la rupture complète; de méthodes de fabrication inédites encourageant une exploitation raisonnée des ressources (énergie, eau, matières 1ères) au remplacement pur et simple des énergies fossiles, en passant par la réduction et valorisation des déchets.
Ces nouvelles éco-industries prospèrent et attirent désormais les investisseurs de tout poil. Vitales et rentables, difficile de ne pas adhérer. En 2018 déjà, les titres verts représentaient près d’1/4 des investissements d’après une étude de Climate Bond Initiative… et ce n’était que "le début". Des initiatives participatives remportent d’ailleurs un franc succès, à l’instar de Lumo - aux confins de la GreenTech et de la FinTech en l’occurrence, rachetée par Société Générale et certifiée B-Corp - qui propose de rentabiliser son épargne en finançant des énergies renouvelables.
Elles défendent des valeurs communes très claires. En nous poussant à revoir intelligemment nos comportements et modes de vie, elles accélèrent le mouvement vers la transition écologique dans une multitude de secteurs.
La préservation des ressources est au coeur de tout.
Côté énergie, la GreenTech repense l’hydrogène (son transport et son stockage essentiellement), la démocratisation du solaire (bel exemple B2B que Solatom en Espagne), la création de biomasse à partir de déchets. Elle décline aussi l’énergie cinétique - celle produite par nos mouvements - qui participe à transformer nos villes en "smart cities", conjointement bien sûr avec l’optimisation énergétique en temps réel via la data (smartgrids, IoT etc.) etc. etc.
L’eau - dont la pénurie menacerait 1/4 de la population mondiale d’après le World Resources Institute - est plus que jamais un sujet d’étude (désalinisation en tête). Quant aux matières 1ères comme le pétrole, les biotechnologies visent à les remplacer en transformant des organismes vivants en carburant ou plastique propres.
Le "sustainable design" commence à s’imposer comme un mouvement de fond auprès des talentueuses jeunes pousses sorties d’écoles mais également de designers aguerris (signe des temps, Instagram voit comptes et hashtags greendesigns fleurir...).
Les FabLabs sont certes de plus en plus nombreux à être orientés durables voire à fonctionner sur les bases de l'économie circulaire. Tech par essence (même si on est désormais loin des geeks auxquels beaucoup les associent encore), ils militent cependant par leur concept-même pour d'autres valeurs de société. Ce réseau d'espaces open source et ouverts à tous mutualise l'accès à l’impression 3D, à la découpe Laser ou vinyle et autres techniques pointues; ce faisant, il modifie la vision dans son ensemble du système de consommation, de la propriété vs. la mise en commun des outils, de la réparation ou de l’upcycling.
Et ce, depuis déjà plusieurs années pour la plupart des startups concernées; mais la conquête de la matière vaut bien celle de l’espace (;-) et l’on n’aura jamais été aussi près de l’ouverture officielle de ce segment de marché. 2020 devrait enfin voir commercialisés certains de ces matériaux inédits, véritables alternatives circulaires aussi technologiques que plausibles au matériaux polluants qu’on a toujours connus.
Nouveau "bois" issu de déchets de cellulose de l’industrie du papier (Honext), de laitues invendues (Feltwood) ou d’épluchures de pommes de terre (Chipsboard); cuir végétal de raisin (Vegea) ou de fruits au sens large (The Fruitleather); simili-plastique à base de sucre, de maïs et d’huile alimentaire usagée (Nuatan); on y est presque. Et tout cela, rien qu’en Europe.
Des équipes hétéroclites de scientifiques, experts data, ingénieurs, créatifs, designers - et entrepreneurs même parfois - y collaborent, investiguant et co-créant. On est loin du "think tank", place à l’action!
Certains sont prospectifs et sociétaux au sens large, d’autres au contraire creusent une réalité très concrète pour mieux la transfigurer.
La Tech est donc partout, ce n'est un secret pour personne, mais jusque dans les nouveaux fondements de l'écologie et le design. Tentant - même si peu d'à propos - de dire: "au coeur du réacteur" ;-)
Tech4Good plus que jamais dans ce cadre précis.
Publié le 17/02/2020